jeudi 4 janvier 2018

Gibelotte en compagnie de Montaigne (suite 7)

aire de repos
Il ne faut pas dire tout ce qu’on pense, car ce serait sottise ; mais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense, autrement, c’est méchanceté. (...) Or, de moi, j’aime mieux être importun et indiscret que flatteur et dissimulé. J’avoue qu’il se peut mêler quelque pointe de fierté et d’opiniâtreté à se tenir ainsi entier et découvert sans considération d’autrui. (...) Par quoi je m’abandonne à la naïveté et à toujours dire ce que je pense, laissant à la fortune d’en conduire l’événement. (...) Et quand personne ne me lira, ai-je perdu mon temps de m’être entretenu tant d’heures oisives à pensements si utiles ? (...) Si vous êtes couard et qu’on vous honore pour un vaillant homme, est-ce de vous qu’on parle ? On vous prend pour un autre. (...) Qui me louerait d’être bon pilote, d’être bien modeste, ou d’être bien chaste, je ne lui en devrais nul grand merci. Et pareillement, qui m’appellerait traître, voleur ou ivrogne, je me tiendrais aussi peu offensé, moi qui me vois et qui sais bien ce qui m’appartient. (Montaigne)
Le temps guérit les douleurs et les querelles, parce qu’on change, on n’est plus la même personne. Ni l’offensant, ni l’offensé, ne sont plus les mêmes. (Blaise Pascal, Pensées, 1662)
Les deux qualités lui sont naturelles, la politesse et la patience, jumelles du savoir-vivre. (Daniel Boulanger, Le ciel est aux petits porteurs, 2006)
Tu te voulais tranquille et de tout repos
ceint de clémence ainsi que le mélèze.
Mais le malheur ébranla ton cerveau
Et se délabre ton rêve.
(Gilbert Langevin)


Note 
* L’Editeur qui écrit ce récit est un personnage fictif.  Il s’agit d’un artifice littéraire qui m’a été inspiré par Adolphe, le roman de Benjamin Constant. C’est le directeur des Editions du Renard  Rusé qui dit je.  

***
Intermède: en vacances aux Eboulements 

Moi Antoine Narbonne, je parcourais la région de Charlevoix et je me suis arrêté au gîte Le Nichouette dans le village des Eboulements. Le lendemain matin, à l'aube,  le cocorico d’un vrai coq se fit entendre au moins trois fois. Cette trompette du matin comme l'appelle Shakespeare me réveilla. Je m’éveillai avec gratitude, heureux d’être au monde. Chez Gilberte Tremblay,  l’eau du robinet, pure et fraîche, venait des montagnes, elle était froide, l’air était frais et tonifiant, la vue en plongée sur le fleuve Saint-Laurent qui scintillait au loin était belle, des vaches paisibles broutaient l’herbe dans la rosée, le soleil embellissait les fleurs, en particulier des pivoines d’un rouge éclatant comme celles qui s’épanouissent dans l’entrée de la maison de Victor-Lévy Beaulieu, à Trois-Pistoles, le long de la route 132.  Entre des coups de gueule et des livres, VLB  cultive des fleurs, élève des animaux, vit seul et habite une grande maison qui a fait l’objet d’une émission de Passion maisons.
Une odeur de bacon et de café envahit la cuisine en bois peint en blanc et vert pomme. Comme l’écrit VLB dans Les Grands-pères, cela était rassurant, ces choses quotidiennes, il y avait de la paix en elles, et de la bonté aussi. Je me suis dit qu’il y a des moments dans la vie où le bonheur est palpable. Dans le village des Eboulements, ce matin-là de la fin d’août de l’année 2006, dans la cuisine de ce Gîte du passant, nous avons touché au bonheur parce qu’il faisait beau, qu’un coq m’a réveillé, que l’eau était fraîche, qu’il y avait du soleil partout, que l’herbe sentait bon, que nous avions une vue panoramique splendide sur notre grand fleuve, que tout le monde était de bonne humeur et en santé et parlait français. que je lisais Montaigne. C’était les vacances et nous étions chez nous en territoire familier, en bonne compagnie chez Gilberte Tremblay et son fils Félix, non loin du Vieux-Québec et de l’île d’Orléans de Félix Leclerc, dans notre pays natal.
Réveillé par l’air froid, après m’être rasé, j’ai imbibé mon visage d’eau glacée et j’ai bu deux verres de cette eau froide excellente en pensant à L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono-Philippe Noiret-Frédéric Back et en relisant des passages soulignés du treizième chapitre du livre trois des Essais.  Montaigne écrit:
Nous sommes de grands fols. Il a passé sa vie en oisiveté, disons-nous : je n’ai rien fait aujourd’hui.- Quoi, avez-vous pas vécu ? C’est non seulement la plus fondamentale mais la plus illustre de vos occupations.
Notre grand et glorieux chef-d’oeuvre, c’est vivre à propos. Toutes autres choses, régner, thésauriser, bâtir, n’en sont qu’appendicules et adminicules pour le plus. Pour moi, donc, j’aime la vie. On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser son don.
J'imagine que ce passage On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser son don aurait déplu aux athées comme Michel Onfray qui prétendent que Montaigne était incroyant.   Chaque soir avant de s’endormir, Montaigne récitait le Notre Père en latin.  Je me demande d’où vient cette idée fausse que Montaigne n’était pas croyant mais qu’il faisait semblant de l’être à cause des guerres de religion.
En me réveillant, mon rêve m'est revenu: sur ma pierre tombale, on avait écrit: Vita mutatur non tollitur. La vie est transformée, elle n'est pas détruite. C'est ce que les textes  disent lors de la messe des funérailles. Pas facile d'imaginer cette vie sans corps mais si c'était vrai… Laissons la porte ouverte et comme le dit Gilles Vigneault, préparons-nous à la surprise.
Le vent avait dû changer de bord, ça sentait maintenant le fumier et comme l'écrit le barbu de Trois-Pistoles, quoi de plus apaisant que la senteur du fumier de vache. Attentif aux bruits et aux odeurs de la campagne et aussi aux quelques autos qui passaient bruyamment sur la rue principale, des éclats de voix et des rires m’invitèrent à quitter ma chambre aux rideaux verts et aux petites mouettes blanches suspendues au plafond. Assis à table, accompagné de son épouse  avec laquelle il avait des rapports évidents de complicité, le Littéraire  avait une belle façon, mais paraissait soucieux malgré le matin lumineux et sa retraite prise en juin 2005 qui aurait pourtant dû le libérer de bien des tracas. Il était en train d’écrire un livre, son sixième, c’est peu à côté des soixante-dix livres de VLB mais il est vrai que Bibi se répète : sa table en pommier, son stylo qu'il décapsule, tout un rituel,  sa mère, son père, ses frères et soeurs, la polio, les éditeurs fifis et les journalistes fifis, Judith, la mère de Judith, le pharmacien au cigare, l’Italien qui lui passe des livres, on connaît ses idiosyncrasies qui reviennent de livre en livre avec cet hyper réalisme qui le caractérise. Il n’y a absolument rien d’érotique dans ses descriptions d’actes sexuels. J’ai lu une vingtaine de ses livres dont celui sur  James Joyce. VLB écrit chef-d’oeuvre au verso d’un livre dont il est l’auteur et l’éditeur. Certains de ses livres sont peut-être des chefs-d’oeuvre après tout mais est-ce à l'auteur de le dire. On n'est jamais mieux servi que par soi-même n'est-ce pas!  Pierre Foglia écrit que VLB est le plus grand écrivain québécois vivant… et VLB écrit que Foglia est le plus grand chroniqueur vivant. Renvoi d'ascenseur? Ce qui ne veut pas dire que c'est faux. Moi, j'apprécie la lecture des deux écrivains.
Dans notre conversation, j'appris que le Littéraire avait choisi la profession d’enseignant de collège. Cela  lui laissait pratiquement cinq mois de loisir et de liberté pour lire, écrire et surtout, pour avoir plus de trois mois de vacances pour faire du camping avec sa famille, sa femme et ses quatre enfants deux garçons, deux filles et le plus de temps possible pour jouer au golf, son sport préféré dans lequel il excellait; souvenir mémorable, il avait joué 70, moins deux, seul et seul au monde (deux fois les mêmes neuf trous) après la pluie un après-midi sur le parcours central du Golf municipal de Montréal avant que Jean Drapeau n’élimine ce magnifique terrain de golf. 
Aujourd’hui, au gîte Le Nichouette, en ce beau matin de la fin de l’été nous avons discuté de politique. Et de façon pointue.  En présence de son fils Félix, Gilberte Tremblay, notre aimable hôtesse septuagénaire s’était assise sur sa chaise berçante car le Littéraire n’en était pas à sa première visite et elle savait qu’un coup parti, il était difficile à arrêter surtout quand il parlait de politique. Après nous avoir servi un bon jus d’orange frais, du pain de blé entier rôti, deux oeufs au miroir et du bacon, elle en oublia d’insister pour que nous goûtions à ses produits authentiques du terroir, cretons, confitures maison, fromage Le Migneron et sirop d’érable pur offerts avec abondance sur la table de la cuisine d’une maison en bois où dominent le blanc et le vert pomme qui lui rappelait la grande cuisine aux cinq fenêtres de son enfance au deuxième étage du 4365 de la rue Brébeuf à Montréal, tout près de la rue Marie-Anne, dans le Plateau Mont-Royal, non loin du parc Lafontaine où il a passé son enfance et sa jeunesse. Comme il nous l'a raconté.  Cette cuisine de son enfance retrouvée et la chaleur et la générosité de l’accueil expliquaient sans doute qu’il en était à sa septième visite chez Gilberte qui lui rappelait sa grand-mère Gervais qui l’avait pris chez elle de quatre à neuf ans avec son jeune frère parce que sa mère travaillait; après les quatre premières années passées chez sa grand-mère italienne Teresa Guastella, sicilienne mariée à Antonio B. piémontais.
Après les élections du 29 avril 1970, Le Littéraire  avait fait l’éloge du style de René Lévesque dans un article publié dans Le Devoir en janvier 1971. Dès 1967 se développa une relation amicale entre le Littéraire et l’auteur d’Option Québec et fondateur du Mouvement Souveraineté-Association. Par la suite, malheureusement, cela se détériora. A la période des questions de l’Assemblée nationale, dit-il, il m’a traité de gérant d’estrade. Son attaché de presse Robert Mackay n’est plus là pour en témoigner, mais René Lévesque m’aimait bien. J’incarnais, à ses yeux, le nouveau militant, ni libéral, ni riniste, qui faisait la force du Parti québécois. Moi, j’avais pour lui un tel respect qu’une fois, sur la rue Christophe-Colomb, il vint me saluer alors que je travaillais dans un petit bureau à préparer une édition du programme officiel du Parti québécois : j’étais très concentré sur le travail de précision que je faisais mais il est arrivé à l’improviste et quand je l’ai vu, je me suis levé d’un bond, spontanément. Ce sont des détails qui ne mentent pas. Si je l’avais voulu, j’aurais pu travailler au bureau du premier ministre avec Yves Miron, professeur d'économie au collège d'Ahuntsic mais j’ai considéré que si je perdais ma liberté, je ne serais plus d’aucune utilité. Est-ce que Jacques Parizeau a tenu compte des conseils de Jean-François Lisée quand il a fait son discours sur l’argent et des votes ethniques le soir du référendum de 1995 ? Non. Alors ! Le rôle de conseiller vous place au coeur de l’action mais il a ses limites et c'est frustrant.
Tout de suite après le love in fédéraliste tenu à Montréal, le chanteur Claude Dubois a proposé à Jacques (comme il disait) de remplir le stade olympique pour faire contrepoids. Parizeau a refusé pour ne pas dépenser plus que permis par la loi. Le soir du 30 octobre 1995, Parizeau aurait dû dire : Les fédéralistes n’ont pas respecté la loi québécoise en dépensant deux fois plus que permis (love in et Option Canada) : je conteste les résultats : je ne les accepte pas et nous allons refaire un autre référendum où, cette fois-ci, les tenants du NON vont respecter les lois québécoises. Le OUI aurait gagné cette fois-là car de nombreux Québécois avaient regretté d’avoir voté NON. Il est vrai que le soir du référendum le livre de Robin Philpot, Le référendum volé n’avait pas encore été publié. Mais Parizeau en savait assez pour demander une enquête publique sur ce qui avait été fait d’illégal par les fédéralistes pour gagner par 52,000 votes sur plus de quatre millions de votes. Mais les pressions de Lucien Bouchard appuyé par Mario Dumont pour revenir au projet de souveraineté-association ont sans doute miné ses énergies.
A l’époque, le Littéraire jugeait qu’un article publié dans Le Devoir était plus efficace pour exercer une certaine influence. Mais même là, dit-il, personne n’a pu empêcher Claude Morin d’imposer son étapisme néfaste parce que Lévesque était d’accord. Une semaine avant les élections du 29 octobre 1973, une carte de rappel disait : d’abord un bon gouvernement par une élection ; la souveraineté, plus tard, en 1975, par un référendum. Tous les problèmes des indépendantistes partent de là. En 1976, on a eu le bon gouvernement. En 2006, 30 ans plus tard, l’indépendance est encore à venir. La promesse du référendum en 1973 et 1976 avait pour but de prendre le pouvoir non de réaliser l’indépendance. René Lévesque était tellement obsédé par le référendum qu’il est tombé dans le piège que lui tendait Pierre Elliot Trudeau après la nuit des longs couteaux. On ne peut pas refaire l’histoire mais on doit en tirer des leçons. Il ne faudrait pas répéter les erreurs de Claude Morin. A bas le fétichisme référendaire comme le dit son beau-frère, président du syndicat des ingénieurs d'Hydro-Québec.
Comme on peut en juger, comme l'écrit Montaigne à propos de son père qui fut maire de Bordeaux, le Littéraire avait l'âme cruellement agitée de cette tracasserie publique oubliant le doux air de sa maison et son ménage et sa santé. (Essais III,10) 
En mangeant du fromage Migneron avec des confitures maison aux petits fruits des champs et en buvant son deuxième café, comme personne n’était pressé et que 80% des hommes de plus de soixante-ans avaient un jour ou l’autre des problèmes de prostate, à l’invitation de sa femme qui cherchait à quitter le terrain de la politique et qui lui tendit la perche, le Littéraire ne se fit pas prier pour raconter avec force détails ses problèmes de santé, lui qui n’avait jamais été malade, problèmes dont il prit conscience quand, en urinant, il entendit le toc toc toc de trois petites pierres rondes et beiges tombant sans douleur dans les toilettes, le 16 mars 2005 vers neuf heures du soir, ce qui le mena, sur les conseils d’une infirmière d’Info-Santé rejointe par téléphone, à l’urgence de l’hôpital Pierre-Boucher de Longueuil jusqu’à deux heures du matin. Il raconta que le médecin de l’urgence, un petit vietnamien, après avoir tâté sa prostate dans la nuit, refusa de lui donner plus d’information prétextant que son doigt n’était pas assez long et que, de toutes façons, il lui fixerait un rendez-vous avec un urologue puisqu’ici, dit-il, on travaille en équipe. Il trouva une pharmacie ouverte à deux heures du matin boulevard Taschereau et il prit des antibiotiques pour se débarrasser d’une infection urinaire. Il en était là parce qu’il n’avait pas tenu compte de l’alerte (comme disait son ami Luc Charbonneau, grand joueur de hockey sur patinoire extérieure) du 13 juillet 2004 quand, en fin d’après-midi, après avoir réussi le seul trou d’un coup de sa longue carrière de golfeur, au quatrième trou de 156 verges du parcours Madeleine, avec un fer six Titleist DTR et une balle Top-Flite 1Hot XL qu’il conserve précieusement comme un trophée, en urinant dans la haie de cèdre à côté du vert du sixième trou du club de golf de Verchères, il vit que son urine était de couleur rouge, la présence du sang étant causé sans doute par les pierres qui avaient accroché une veinule, ce qui l’inquiéta beaucoup car, à ce moment-là, il ignorait la cause de ce qui s’appelle savamment aujourd'hui une hématurie macroscopique. Il était comme la plupart des hommes qui négligent de se faire examiner par un médecin à moins d’y être forcé par un malaise persistant ou une douleur inquiétante. Plus tard, un scan devait lui apprendre qu’une quinzaine de pierres de forme ronde et lisse dont trois de 1.2 cm de diamètre (ce qui est plus gros qu’un noyau de cerise de France) s’étaient formées dans sa vessie à cause d’une hypertrophie béniqne de la prostate (HBP) et d’une alimentation trop riche en calcium provenant de fromages divers et des deux verres de lait qu’il prenait assez souvent avec un morceau de gâteau de la pâtisserie Rolland en regardant une émission de discussion sportive en fin de soirée. Une quinzaine de calculs dans la vessie, c’était une véritable carrière devait dire plus tard une infirmière taquine oui les infirmières sont parfois taquines.
Après un effort physique pour descendre un matelas du grenier, un matin ensoleillé très chaud de juillet 2005, comme c’est arrivé plusieurs fois à Michel de Montaigne mais dans l’uretère, ce qui est beaucoup plus douloureux, une de ces pierres se coinça dans l’urètre, l’empêcha d’uriner et nécessita une autre visite à l’urgence de l’hôpital Pierre-Boucher. Il fallut une intervention du Dr Jean-Louis Bourque qu’il avait rejoint par miracle le matin par téléphone à l’hôpital de Lasalle grâce à sa secrétaire Nathalie : celui-ci apprenant qu’une pierre était coincée dans l’urètre eut spontanément la réaction suivante : Soda ! dit avec empathie le très compétent mais très laconique docteur. Au début de l’après-midi, après avoir attendu quatre-vingt dix minutes (c’est long) en robe d’hôpital verte pâle ouverte par en arrière, dans un cubicule, assis sur un tabouret pendant l’heure du dîner, devant l’incapacité du médecin de garde qui zigonnait sans succès avec je ne sais quel instrument, l’urologue Bourque costumé quitta le bloc opératoire et descendit à l’urgence, ce qui est quand même inusité, accompagné d’une infirmière expérimentée et très jolie qui avait beaucoup d’aplomb. Il  fit une piqure au glorieux organe, sortit le bistouri pour évacuer une pierre ronde de 1 cm. de diamètre coincée dans l’urètre qu’il déposa dans la main du patient à sa demande et utilisa une aiguille pour coudre des points de suture. Quand le patient se releva soulagé et content, il n’avait presque pas souffert mais, à sa grande surprise, il baignait dans son sang comme à la boucherie et il fallut plusieurs minutes à deux infirmières fraternelles pour le laver. Comme il venait de remercier le Dr Bourque pour son sens du timing et sa dextérité, la jolie infirmière lui dit : Vous êtes un homme solide, ce qui lui fit grand plaisir puisque c’est ce qu’il avait démontré au fond par son comportement assez cool dans les circonstances, mais avait-il le choix, lui que les Sulpiciens du Grand Séminaire de Montréal avaient déclaré douillet (pauvres Sulpiciens !) parce qu’après quarante minutes de sport (balle au mur, ballon balai ou balle molle selon la saison), il mettait une veste de laine pour écouter les élucubrations du Supérieur François Paradis pendant sa conférence spirituelle de début de soirée. Il faisait confiance aux soins de santé québécois et les services qu’il venait de recevoir le confortaient dans cette attitude, lui qui n’était pas allé à l’hôpital depuis l’accident subi dans les années quatre-vingt pendant une partie de balle molle au camping municipal de La Tuque où il avait fallu lui faire douze points de suture au-dessus de l’oeil droit suite au geste violent et imbécile de l’arrêt-court qui lui avait accroché les lunettes en le retirant au deuxième but parce qu’il se croyait en train de jouer le septième match de la série mondiale de baseball. Le lendemain, il était sur le terrain de balle mais sans ses lunettes et il frappa quelques coups sûrs. Pas mal pour un douillet.
La présence de ces calculs dans la vessie exigea l’intervention du même chirurgien compétent mais peu loquace, qui enleva habilement les quinze pierres par les voies naturelles lors d’une opération qui eut lieu à l’hôpital de Lachine, à 9 heures du matin, le 8 septembre 2005 : il conserve précieusement ces calculs qu’il est allé chercher au laboratoire de l’hôpital et qui font partie de son dossier qui contient des photocopies de presque tous les examens qu’il a subis. Avant cette opération réussie, à cause d’un taux de PSA (antigène spécifique de la prostate) relativement élevé (82) causé par l’infection urinaire, le médecin avait prescrit prudemment des examens de médecine nucléaire et un scan de l’abdomen, ce qui laissa croire au patient qu’il pouvait avoir un cancer de la prostate, ce qui lui coupa littéralement l’appétit. Il fallut attendre les résultats d’une biopsie, trois mois plus tard et trente livres en moins, pour entendre le spécialiste un peu étonné quand même et ravi, lui dire dans un bureau de l’hôpital Pierre-Boucher cette courte et magnifique phrase : Vous n’avez rien, en lui donnant amicalement une photocopie du rapport de biopsie qui disait, après une analyse de dix prélèvements de sa prostate : absence de néoplasie. Ce diagnostic fut confirmé par une analyse des fragments de prostate qu’il avait fallu couper pour permettre à trois grosses pierres de passer lors de l’intervention chirurgicale que l’homme de l’art avait qualifiée en disant : Cela a été dur car enlever des pierres de la vessie, ce n’est pas comme prendre des raisins dans un panier : certaines sont incrustées dans les parois de la vessie. Après l’opération, l'infirmière de l'hôpital de Lachine manqua de jugement (elle l'avoua elle-même) en obéissant aveuglément au médecin qui lui avait dit de cesser le lavement de la vessie vers midi; la preuve,  un malencontreux caillot, noir et long comme un verre de terre, bloqua la sortie de la vessie, caillot que la coordonnatrice appelée de toute urgence siphonna au milieu de ses cris de douleur pendant qu’il serrait fortement la main de sa femme: rien ne lui avait été donné pour diminuer la douleur, l'appel téléphonique au médecin ayant tardé. Ce fut un épisode extrêmement déplaisant.   Il a fallu passer la nuit à l’hôpital pour nettoyer la vessie ensanglantée, à l’aide d’une sonde à triple voie et de quarante-deux sacs d’eau saline qu’il avait eu le loisir de compter pendant sa nuit sans sommeil agrémentée du bruit constant du liquide rougeâtre qui tombait dans une chaudière à côté de son lit. Deux aide-infirmières passèrent dans sa chambre vers trois heures du matin en conversant comme s'il n'avait pas été là. Vers midi, après avoir bu un grand verre d’eau, l’action pourtant si simple de pisser lui procura une divine joie pendant que sa femme était en route vers l’hôpital de Lachine pour venir le chercher. Il savait déjà, avant les révélations de l’ex-président de Radio-Canada Guy Fournier à une radio communautaire relayées par l’émission télévisée Tout le monde en parle, que tout exercice d’une fonction naturelle s’accompagne d’un plaisir. Nature a maternellement observé cela, écrit Montaigne, que les actions qu’elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent aussi voluptueuses, et nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par l’appétit. (Essais, III,13) Si ce bavard vaniteux de Guy Fournier avait utilisé ce langage philosophique au lieu de tomber dans la scatologie, il serait resté président de Radio-Canada mais tant pis pour lui.
Ses recherches sur l’internet, ses lectures sur le sujet et son expérience propre lui apprirent que le taux de PSA n’était pas facile à interpréter. Un taux plus élevé que la normale qui est entre 2 et 4 ne veut pas dire nécessairement un cancer ; cela peut être causé par un adénome, ce qui est bénin. Il a appris récemment qu’une prostate pesant 100 grammes pouvait s’accompagner d’un taux de PSA de 15 nanogrammes ; avec une prostate comme la sienne pesant 128 grammes, il n’y avait donc pas lieu de s’inquiéter de son taux de PSA, se disait-il sans être absolument certain de sa conclusion. Les conseils et le support moral d’un professionnel de son collège, Pierre Nadeau (le président de la coopérative qui administrait la cafétéria), furent extrêmement utiles car ce confrère dans la cinquantaine affecté d’un cancer de la prostate peu développé (même avec un taux bas de PSA) qui fut traité avec succès par radiothérapie à l’hôpital Notre-Dame de Montréal, ayant passé à travers toutes les étapes, avait une formule réconfortante qu’il était pratique de se répéter dans l’attente plus ou moins longue des divers examens, cystoscopie, médecine nucléaire, scan de l’abdomen, prises de sang, biopsie : C’est une affaire de rien , ce qui, par autosuggestion, permettait de diminuer et même de dissiper les inévitables inquiétudes et même, les angoisses devant le sentiment cuisant de notre finitude, de notre mortalité  et la confirmation que nous vivons dans un monde imparfait et que nous sommes loin de tout contrôler. C'est une affaire de rien! C'est une affaire de rien! Merci Pierre Nadeau.
Deux médicaments complémentaires sans trop d’effets secondaires, le Xatral et l’Avodart, suffisent actuellement à rendre acceptables les effets de l’hypertrophie bénigne de la prostate sur les organes urinaires. Il n’y a pas trop de gêne comme disent les livres sur la prostate. Et sur les terrains de golf, il y a beaucoup d'arbres. Selon sa pharmacienne, férue de l’énergétique chinoise, les pierres dans la vessie sont la cristallisation d’émotions négatives, de l’insécurité, de la peur et une grosse prostate est la projection dans un organe masculin de ses difficultés à assumer son rôle d’homme devant la Directrice et peut-être même devant sa femme. Nous avons bien ri de cette théorie chinoise mais pas lui qui regardait par la fenêtre d’un air songeur car cette idée que ce qui se passe dans l’âme pouvait avoir des répercussions sur le corps lui paraissait juste. Après tout, influencé par Aristote et saint Thomas d’Aquin, il croyait qu’il y avait une union substantielle entre l’âme et le corps. Il y aurait eu somatisation du stress causé par les poursuites intentées par la directrice générale. De quoi alimenter sa colère et la justifier. La pharmacienne, avait aussi ajouté : ce sont des conséquences de la relation de l’enfant avec sa mère. Ce qu’elle avait accompagné de confidences sur sa relation traumatisante avec sa mère qui serait la cause d’un cancer de l’utérus qu’elle a soigné et guéri. On a conclu que comme tout le monde a eu une mère et un père imparfaits, tout le monde est plus ou moins malade avec beaucoup de complexes d’Oedipe et de complexes d’Electre non résolus. Cette conclusion nous rendit fort mélancoliques malgré l’atmosphère chaleureuse du déjeuner de Gilberte, notre charmante hôtesse.  Pour faire diversion, le Littéraire amena de l’eau à notre moulin en disant que sa femme (qui souriait) était une Germaine Faucon, elle gère, elle mène et il faut qu’on l’écoute. Il ajouta en prenant un air dépité de comédie que depuis plus de quarante ans, il était en perte d’autonomie. Tout le monde éclata de rire.
Dans un premier temps, de mars à novembre 2005, pendant neuf mois, ces problèmes de santé totalement imprévus l’avaient beaucoup contrarié et avaient mobilisé son attention au début de sa retraite prise en juin 2005 mais ne l’avaient pas empêché d’écrire. Au contraire, la fréquentation de l’urgence de l’hôpital Pierre-Boucher et de différents services, prises de sang, médecine nucléaire, scan de l’abdomen, de la clinique des urologues du boulevard Taschereau, à Longueuil, de la salle d’opération de l’hôpital de Lachine et de ses services annexes, du CLSC de Longueuil-Ouest et du laboratoire de pathologie de l’hôpital Charles-Lemoyne lui fit bénéficier de la bienveillance et des services complémentaires de personnes dévouées, médecins, secrétaires, infirmières et techniciens, techniciennes, consciencieuses et compétentes. ll faisait remarquer que les moments d’attente avant les différents examens ou rencontres avec le médecin étaient fort propices au travail sur soi et à la réflexion sur l’humanité souffrante gementes et flentes in hac lacrimarum valle, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes. Pauvre humanité ! disait le Survenant. Incidemment, nous dit-il, il est quand même extraordinaire que Michel de Montaigne, mon écrivain préféré, ait souffert de colique néphrétique : à au moins cinq reprises, une pierre provenant des reins se coinça dans son uretère (à ne pas confondre avec l’urètre), ce qui est plus douloureux et plus grave. Montaigne écrit :
Qui sait si Dieu voudra qu’il en advienne comme des corps qui se purgent et remettent en meilleur état par longues et grièves maladies, lesquelles leur rendent leur santé plus entière et plus nette que celle qu’elles leur avaient ôtée ? (Essais, III, 9)
Après avoir appris qu’il n’avait rien, c'est-à-dire qu'il n'avait pas le cancer de la prostate, il a vite retrouvé l’appétit et a repris, hélas !, une bonne partie des quinze kilos perdus. Cette expérience de la maladie et des services de santé québécois fut somme toute extrêmement positive et le stimula car elle exigea de lui un certain courage. Pendant qu'il attendait de pouvoir uriner après l'opération, il fut agacé par deux infirmières indélicates qui parlaient, à trente pieds,  de leur future fin de semaine comme s'il n'avait pas été là. Il aurait apprécié aussi que son médecin suive de plus près  à l'hôpital même les résultats de son opération et vienne le saluer mais c'est sans doute qu'il avait en tête l'image du médecin de campagne qu'il avait connu dans sa jeunesse à Rosemont, le Dr Paquin qu'il aimait rencontrer, alors qu'il prenait des pilules pour le coeur.  Par sa précision dans la description du traitement de sa maladie, il tenait à faire l’éloge des soins de santé au Québec. Je crois qu’il voulait aussi suggérer qu’il serait aussi précis dans La Gibelotte dans la description du conflit qui avait occupé les sept dernières années de sa carrière d’enseignant. 
Vers la fin du copieux petit déjeuner, j’ai appris la raison de son air préoccupé : militant syndical, il était en train d’écrire sur le conflit du syndicat des enseignants avec la Direction de son collège. Il ne voulait pas en parler pour ne pas gâcher son séjour et le nôtre dans la région des beaux paysages de Baie St-Paul et de l’île aux Coudres et des peintres René Richard, Clarence Gagnon, Claude LeSauteur, Marc DeBlois et de sa femme Joan (poterie), une belle femme plantureuse,  car c’était un sujet très prosaïque qui le rendait agressif : les mots lilliputien et ubuesque furent grommelés. En effet, il pensait à Jonathan Swift qu’il avait étudié au séminaire Marie-Médiatrice dans un cours de littérature anglaise avec Monsieur St-Germain et à Alfred Jarry dont il avait vu la pièce Ubu roi montée de façon magistrale par un collègue (le Grammairien) et il trouvait ses ennemies mesquines et grotesques. Ce qui l’enrageait, c’était le temps gaspillé à se défendre contre les attaques sournoises de ces harceleuses qui n’admettront jamais qu’elles étaient motivées politiquement mais qui l’étaient. Ne voulant absolument pas oublier ce passé récent, il tenait à partager l’expérience qu’il avait vécue et qui était restée inachevée. Apporter son témoignage était, pour lui, une nécessité pour en arriver, disait-il, à se désinstitutionnaliser comme les prisonniers dans le film The Shawshank Redemption après trente-six années passées au même collège. Pour piquer notre curiosité, quand même, il nous demanda si nous savions ce qu’était une SLAPP, une poursuite-bâillon, tactique juridique utilisée par des compagnies pour intimider, réduire au silence et acculer à la faillite des contestataires la plupart du temps écologistes, militant pour la protection de l’environnement et la défense de leur qualité de vie. Coïncidence, dit-il, la Directrice qui a intenté deux poursuites de 80,000 $ et de 170,000 $ pour atteinte à la réputation et diffamation contre le syndicat et contre moi justifiait toutes ses décisions en disant qu’elle faisait du développement et ne tolérait pas qu’on s’y oppose.
Dans la cuisine du Gîte du passant de Gilberte Tremblay, sur la rue Principale du village des Eboulements, au coeur de la belle région de Charlevoix, en ce beau matin de la fin de l’été, le soleil entrait par la fenêtre et faisait une colonne de lumière où grouillaient des poussières dorées comme dans la cuisine dans Les Grands-pères de Victor-Lévy Beaulieu. Des odeurs de résine d’épinette s’infiltraient dans la maison. Pour alléger la conversation, Félix, le fils facétieux de Gilberte, demanda candidement, juste pour rire : Est-ce qu’il y a du sexe dans ton livre ? Le Littéraire répondit : S’il y en a, c’est subliminal. La scène la plus érotique est au début de l'histoire : je rencontre la directrice qui est une bourgeoise, une femme mûre un peu séductrice, bien habillée, maquillée, pomponnée et parfumée et, sans avertissement, je lui dis qu’elle a de belles jambes. L’attirance de la femme de pouvoir pour le directeur des ressources matérielles ou pour le président de la Fédération syndicale à la carrure d’athlète avec qui elle a flirté ouvertement aurait inspiré un romancier. Mais je ne suis pas romancier. J’écris des essais. Ma mère disait taquine : Ça fait longtemps que tu t’essaies. Il est aussi question des charmes de la directrice auxquels un enseignant disciple d’Urantia aurait été sensible mais ça ne va pas plus loin. Je n’étais quand même pas pour en faire une Mae West, une femme fatale, fatale pour tous sauf pour les valeureux et incorruptibles militants syndicaux. Je vais envoyer mon manuscrit aux Editions Trois-Pistoles et on verra bien. Ça me donnera l’occasion d’entrer en contact avec Victor-Lévy Beaulieu qui est un écrivain que je n’ai pas tellement lu pendant mes études de Lettres. Ça ne m’intéressait pas toutes ces vulgarités.  Mais je me reprends. Je me suis amusé récemment à observer la technique de ses dialogues dans ses séries télévisées qui passent en reprise. Un personnage demande à savoir quelque chose; l’autre personnage dit : Non je ne te le dirai pas. Et ainsi de suite : Ça crée une tension dramatique. J’ai lu son livre sur Jacques Ferron. Les Grands-pères est un chef d’oeuvre. Comme dirait ce vieux rencontré dans le comté de Bellechasse : VLB est un chef-d’oeuvreux… comme le Survenant. Faisant son éloge, Jacques Ferron a dit que pendant tout le livre, on sentait une odeur de fumier.
Mais les habitants de Trois-Pistoles ne se reconnaissent pas dans ses téléromans. On n’est pas comme ça, disent-ils. On passe pas notre temps à nous chicaner et à éprouver de la haine. Il nous fait honte. C’est l’opinion du jardinier qui s’occupe du cimetière de St-Jean-de-Dieu. Raymonde, du Gîte du Presbytère de St-Eloi, a joué au bowling avec lui. Il pue m’a-t-elle dit brutalement. Quand il est venu manger ici, il a fumé sa pipe même si c’était défendu de fumer. Il ne respecte rien. Il se prend pour un autre. Je suis allé voir ses pièces de théâtre à Trois-Pistoles. C’était trop sérieux. C’était lourd comme ses téléromans. Moi, j’ai suivi des cours de Bible avec Mario Dumont. C’est un gars très intelligent et très propre de sa personne. Si Victor-Lévy Beaulieu se lance en politique contre Mario Dumont dans le comté de Rivière-du-loup, il va en manger une maudite. Mais il s’en fout. Tout ce qu’il veut, c’est de la publicité, c’est qu’on parle de lui ; il a peur qu’on l’oublie. Il est très fort en marketing. Sa menace de brûler son gros livre sur Papineau m’a bien fait rire. J’ai failli lui envoyer gratis une corde de bois. C’est quand même particulier un gars qui se réédite lui-même. Il ne veut surtout pas qu’on oublie son oeuvre.  Trudeau a fait beaucoup pour le français au Canada.
A la suite de cette dernière remarque plutôt inattendue qui avait pour but de le provoquer car elle savait qu’il était indépendantiste, le Littéraire lui a répondu : Pour une femme qui a un mari cultivateur et qui a un voisin qui répand du fumier, vous avez le nez pas mal fin. Vous ne voudriez quand même pas que  Victor-Lévy se mette de l’eau de toilette Armani ou Givenchy : vous diriez qu’il sent la guidoune et qu’il est une tapette. VLB est une sorte d’habitant bouseux : il a des animaux dans sa cuisine alors il sent le cultivateur. A part de ça, le tabac de sa pipe sent bon et c’est un non-fumeur qui vous le dit. Vous avez le droit d’aimer Mario Dumont. Mais c’est pas nécessaire de dénigrer ceux qui n’ont pas vos idées politiques. A propos du français au Canada et du rôle de Trudeau, l’historien Michel Brunet disait que les Canadiens-français hors Québec étaient (et sont) dans un processus accéléré d’assimilation. Les chiffres lui donnent malheureusement raison. En 2006, même après la loi 101, à l’ouest de la rue St-Laurent à Montréal, le français est menacé alors imaginez au Manitoba. Les gens du Bas-St-Laurent comme vous ne comprennent pas ça. Les gens de la ville de Québec non plus ne comprennent pas qu’on doit se battre à Montréal pour défendre le français. VLB est un écrivain, ce n’est pas un sociologue. Même si vous êtes une hôtesse dépareillée, je n’aime pas votre façon de bavasser contre lui. Vous avez un véritable écrivain qui demeure à quinze kilomètres de chez vous et vous n’êtes pas assez fine pour l’apprécier parce qu’il n’a pas les mêmes idées politiques que vous. VLB est conscient de la valeur de son oeuvre alors il se réédite lui-même. J’ai lu Les Grands-pères et Blanche forcée republiés aux Editions Trois-Pistoles, tome 8 et tome 12 des Oeuvres complètes imprimés sur Papier Rolland Tint : ce sont des livres très beaux. Si vous les lisiez, vous verriez VLB autrement. Ce sont les électeurs qui décident. Beaulieu est un p’tit gars de Trois-Pistoles, n’est-ce pas. Alors... Elle me jeta ce regard de mépris que lancent parfois les gens de la campagne aux gens de la ville quand ils parlent de sujets qu’ils ne connaissent pas. Son mari Yvon Pettigrew, cultivateur prospère qui a vendu sa ferme à ses deux fils dont on peut acheter les fraises au supermarché, me voyant contrarié, essaya d’atténuer les propos dénigreurs de sa femme mais dit quand même : J’ai joué au bowling avec lui ; j’ai essayé de lui parler simplement mais ça n’a pas été possible. Un homme comme lui, instruit, écrivain et éditeur, devrait être plus propre de sa personne et surtout plus avenant, moins sauvage…S'il veut faire honneur à Trois-Pistoles et bien nous représenter.
C’est à ce moment précis que j’ai dit au Littéraire que j’étais directeur des Editions du Renard Rusé.
VLB est un ratoureux, dit le Littéraire. Il donne toutes les apparences de parler de lui et de faire de l'autobiographie mais je le soupçonne d'inventer. Ce pourrait être une forme de manipulation du lecteur qui frôle l'imposture. VLB serait-il un mythomane et à la limite un fumiste!  Je soupçonne que sa famille, ses frères, ses soeurs, sa mère, son père et son autobiographie en général sont des points de départ dont il fait ce qu’il veut selon les besoins d’une dramatisation exigée par le texte qu’il qualifie de roman. Il invente à partir de souvenirs. Ses romans, ce sont des mémoires. De toutes façons, j’ai l’intention de faire le tour de la Gaspésie et en passant, j’irai porter moi-même mon manuscrit aux Editions Trois-Pistoles, au 31 Route Nationale Est dans la paroisse Notre-Dame-Des-Neiges sur la route 132. J’en profiterai pour bavarder quelques instants avec le barbu au mouton noir et aux chiens aux noms pittoresques de Saint-Lucie, Numéro Deux, Micropuce, Bonhomme, Snoopy, Tifille et Bidou-Laloge. Il donne des noms à ses chiens comme Pierre Foglia donne des noms à ses huit chats. J’espère que, entre deux jappements de ses chiens, je pourrai placer un mot. Je ne prendrai pas de rendez-vous, je ne ferai que passer car il m’intimide un peu. Je ne crois pas que les luttes syndicales dont je parle dans mon livre l’intéressent. Il n’a jamais rien vécu de tel étant ce que j’appellerais un travailleur autonome depuis toujours et c’est ce qui fait sa force. Il n’a jamais eu à convaincre un éditeur : il se publie et se republie lui-même. A ce point de vue, je l’envie. C’est un cas unique. Il a conscience d’avoir fait une oeuvre. Je ne pense pas qu’il me publiera. Il n’appréciera pas que je souligne la foi chrétienne de Montaigne qui, comme je le disais, récitait son Pater Noster chaque soir avant de s’endormir. Il rejette violemment l’Eglise catholique et la religion chrétienne. Il se présente comme un athée.  Il n'apprécie pas aussi mon côté péquiste C’est un éditeur beaucoup plus idéologique qu’on pense. Par exemple, quand il dit qu'un curé de son enfance puait de la gueule, il ne fait pas du réalisme, il fait de l'idéologie anti-religion. Donc, je n'ai aucune chance d'être publié par un autodidacte qui se venge des docteurs en lettres à la retraite en ne les publiant pas.
Le Littéraire ajouta: Je lis Les Grands-pères dans la réédition de Trois-Pistoles : c’est un livre remarquable. A l’époque, je n’ai pas lu ses romans parce que la calligraphie Morial-Mort m’énervait et m’énerve encore : ça faisait misérabiliste. Le jouage de foufounes dans les ruelles, les scènes de sexe garrochées de Race de monde et les jeux de mots débiles m’avaient rebuté. Race de monde est une expression employée par Didace Beauchemin dans Le Survenant quand il est en colère. Une lecture en diagonale m’avait induit à penser que la queue et le minou répétés vingt fois étaient là pour choquer les petit-bourgeois et les intellectuels d’Outremont de même que l’utilisation d’un langage parlé déformant. Ecrire laitte au lieu de laid, c’est agaçant à la longue. Ça me tombe sur les nerfs. Je n’avais pas tort. Ce qu’il appelle lui-même de l’obscénité provocatrice, ça devient vite prévisible et fatigant. J’ai passé mon enfance et mon adolescence sur la rue Montcalm, autour du Parc Lafontaine et du marché St-Jacques au coin d’Amherst et Ontario, pas loin de l’Economusée qui était un bain public, je ne suis certainement pas prude et rien ne me choquait vraiment dans la prose de VLB. Certains de mes amis d’enfance ont fait de la prison en particulier un certain Dubuc qu’on appelait le blond sale  et qui m’avait donné des poux en se tiraillant avec moi. Parlant de poux et de misérabilisme, avec Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais, j’en avais eu pour mon argent. J’ai quand même aimé Le Cassé de Jacques Renaud qui avait l’avantage d’être un livre court où j’ai retrouvé la langue de mon quartier du bas de la ville de Montréal. Après la lecture et l’étude des grands auteurs français catholiques au collège comme Claudel, Péguy et Bernanos, ce fut un choc. J’ai lu récemment plusieurs des livres de VLB dont Race de monde avec grand plaisir même si ses calembours et contrepèteries sont du sous-Ducharme qui ont pour fonction de jeter sur la pauvreté et la misère un écran de fumée de dérision. J’ai fait ma thèse de maîtrise sur la structure de l’Avalée des avalés de Réjean Ducharme où il y a une description magnifique d’une cueillette de cerises qui m’a rappelée mon enfance où on allait à Ville St-Michel qui était encore de la campagne en 1948 et, où, plus tard, en 1956, j’allais jouer au golf. Ça m’a tout l’air que l’oeuvre de VLB est une gigantesque psychanalyse sans fin remplie de cauchemars. C’est du délire, ce n’est pas moi qui le dit c’est Beaulieu lui-même. Au lieu de faire des free games, la machine à boules de chez Kent marque souvent TILT parce qu’elle a été trop bousculée. Il a ses tics de langage ; par-devers lui, au mitan de, mon fond de penouil, vert-pituite, là-dessus, apaisant, blanc-mange (le sperme…), de trop et pour rien qu’il emprunte à Sartre, ameuter le récit, tusuite, avalé qu’il emprunte à Ducharme, laitte qu’il aime beaucoup et Morial-Mort auquel il tient comme à la prunelle de ses yeux. Ce sont des coquetteries de langage et des automatismes. Je le répète, je suis en train de relire Les Grands-pères. Jacques Ferron a raison de faire l’éloge de ce roman qui est d’un réalisme puissant. En le lisant, on touche la mort du doigt. C’est dur. C’est troublant. Il m’est venu récemment une idée farfelue. VLB aimerait décrire des personnages placés dans des situations limites où ils perdent le contrôle parce que lui-même, il aime contrôler. Il serait un Germain Faucon. Je dis ça comme ça. Je le lis tardivement pour le plaisir et c’est un avantage comme quand j’ai découvert Montaigne à 40 ans, en lisant le chapitre De l’institution des enfants ; je me suis rendu compte que, sans le savoir, dans mon enseignement, j’appliquais les principes pédagogiques de l’auteur des Essais que je lis et relis sans me lasser. Dans Les Grands-pères, un passage m’a rappelé la forge tout près de chez ma grand-mère Gervais et les voitures du guenilloux, du laitier, du boulanger ou du vendeur de glace tirées par un cheval costaud et nonchalant à Montréal, sur la rue Brébeuf près de Marie-Anne en plein Plateau Mont-Royal dans les années quarante. (Je suis né en septembre 1938, dit-il, sur la rue Sherbrooke, au coin d’Amherst, maison démolie) Voici le passage des Grands-pères : Les enfants monteraient derrière lui, se cacheraient sous les peaux tandis que l’étalon, les pattes écartées, chierait patiemment, emplissant les yeux de Millien d’une beauté qui était la beauté des grosses crottes brunes faisant un tas fumant dans la neige. Toute mon enfance surgit dans cette odeur de crottin de cheval accompagnée pour moi de l’image des moineaux qui picorent. Je me demandais ce qui pouvait bien intéresser les moineaux dans ces grosses boules brunes qui, une fois gelées, nous servaient de balle pour jouer au hockey dans la rue entre les énormes bancs de neige de huit à dix pieds de haut qui nous servaient aussi d’igloos. VLB est stimulant par la liberté totale qu’il a par rapport à l’écriture. Je commence à bien le connaître et c’est un enrichissement. J’ai pensé à lui à St-Pascal de Kamouraska quand un colosse percheron fit ses besoins devant tout le monde sous une pluie battante juste avant d’aller tirer des blocs en ciment pendant un concours de tire de chevaux à l’exposition agricole du comté de Kamouraska. Scène épique. Parlant de crottes de cheval, ça me rappelle cet adage: early birds eat worms, the others follow the horse. Les oiseaux qui se lèvent tôt mangent des vers; les autres suivent le cheval, dit le Littéraire.
Je lui dis : Envoie-moi ton manuscrit quand tu auras fini, je pourrais être intéressé
Plusieurs mois après cette rencontre, j’ai reçu un manuscrit provenant du voyageur de Charlevoix et je l’ai lu. Cette histoire de poursuites judiciaires et de conflits est vraie.  Elle réveillera des souvenirs que le temps avait commencé à effacer.  Est-ce que c'est utile? Sans doute mais chacun ne s’instruit qu’à ses dépens dans ce monde où certains ne vous croient pas si vous leur dites que le poêle est brûlant à moins de s’être brûlés eux-mêmes en y mettant la main comme ça arrive aux enfants.  Ce manuscrit raconte une histoire où s’expriment de façon véridique des passions humaines. L’ex-directrice a été punie de son caractère par son caractère même et par cette faiblesse qui s’en prend toujours aux autres de sa propre impuissance et qui ne voit pas que le mal n’est pas dans les alentours mais qu’il est en elle. (Adolphe, Benjamin Constant) Le mal était dans une volonté de domination ne pouvant se satisfaire que de la soumission des autres. D’où la conclusion du livre : De l’insoumission ou de la liberté.
Malheureusement pour Sa Majesté, les quatre membres de l’exécutif du syndicat et leurs principaux alliés mettaient beaucoup de fierté dans une insoumission et une résilience inspirées par le plus grand écrivain français du seizième siècle, Michel de Montaigne, auteur des Essais publiés en 1592, qui est souvent cité avec bonheur dans cet ouvrage. Lors de la première rencontre du Littéraire avec la directrice qui était un mélange des personnages de Molière, plus Philaminte, des Femmes savantes que Célimène, du Misanthrope, en août 1997, le glamour qui se montrait dans sa coiffure, ses vêtements, ses attitudes était à sa personne l’équivalent du décorum dans la vie sociale. Elle n’avait pas sa pareille, semble-t-il, pour aller chercher des dons pour la Fondation de son collège ou pour obtenir des investissements pour le Fier (Fonds d’investissement économique régional) de sa région. Ses confidences permettent de mieux comprendre les motivations de cette adversaire pugnace décrite par l’auteur à qui la lecture du Père Goriot et des Illusions perdues de Balzac ainsi que des livres de Victor-Lévy Beaulieu comme Je m’ennuie de Michèle Véroly ou La jument de la nuit a réveillé la veine fictive. Il s’est mis à sa place pour imaginer toute l’histoire à travers ses yeux. D’une certaine façon, il s’est fait son avocat. Ces pages sont écrites comme si la personne qui dit je était un personnage de roman. Il faut savoir que dans la vraie vie, elle n’était pas tellement romanesque, pas pour ses adversaires en tout cas, mais, à distance, elle l’est devenue. Les Confidences d’une femme trahie font un portrait de l’adversaire jusqu’à la rendre sympathique. Ce qui est un exploit.
Le Littéraire avachit besoin d'un lecteur qui ferait un véritable travail d'éditeur. A la fin du parcours, je constate que celui que la directrice a voulu faire passer pour le Grand Diffamateur et qui a pris sa retraite après quarante ans dans l’enseignement post-secondaire, propose à son ennemie non pas une réconciliation jugée impossible mais un cessez-le-feu et la fin des hostilités comme deux combattants s’accorderaient l’immunité sur le champ de bataille. Cette adversaire qui a essayé de rester au pouvoir alors que ses cinq  cadres acolytes sont partis un par un ne pourra se libérer de sa paranoïa tyrannique qu’après avoir accordé la liberté de parole qu’elle a jusqu’ici refusée à son opposant ; pour ce faire, elle résistera à la tentation judiciaire à laquelle elle a déjà succombé trois fois ; elle cessera d’être une quérulente, c’est-à-dire quelqu’un qui abuse des Tribunaux, et elle reconnaîtra que l’analyse de ses opposants est cohérente et légitime même si elle la croit incomplète, biaisée et même injuste ce qui est, de son point de vue, sans doute vrai car l’occasion ne nous sera pas donnée de lire ses Rapports annuels (cela aurait été fastidieux) qui décrivaient ses sept ans de réalisations qui étaient réelles. En publiant ce livre, un interdit est défié. Sa Majesté ayant eu l’occasion d’exprimer son point de vue dans ses Confidences puis d’encaisser une mercuriale dans le chapitre C’est la faute à Montaigne à l’occasion de la description de ce que Montaigne aurait appelé une guerre intestine, les deux protagonistes auront été libérés par la parole. Tout idéaliste qu’il soit, c’est le souhait que j’exprime comme éditeur qui s'est passionné de cette histoire de poursuites en diffamation.
Je publierai ce livre. Montaigne joue un grand rôle dans le processus d'écriture. Voilà pourquoi  ce livre  sera intitulé: La gibelotte en compagnie de Montaigne.  Avec un sous-titre: récits autobiographiques. J'ai beaucoup apprécié l'annexe: Chronologie et documents qui montre bien ce qui s'est réellement passé. Et qui aide à voir comment cette matière historique a nourri la fiction où se manifeste l'ambition littéraire de l'auteur.
Le Directeur des Editions du Renard Rusé.


(13 octobre 2007 -  26 septembre 2017)

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