jeudi 4 janvier 2018

Gibelotte en compagnie de Montaigne (suite 5)

Introduction aux Confidences d'une femme trahie 

Dans les Femmes savantes de Molière, Philaminte, femme de Chrysale, mère d’Armande et d’Henriette est une despote dont l’autoritarisme fait tout plier à ses volontés. Comme le disait Henriette à propos de sa mère Philaminte:  
C’est elle qui gouverne, et d’un ton absolu
Elle dicte pour loi ce qu’elle a résolu.
Chrysale, le mari, à propos de sa femme Philaminte, disait en exagérant à peine :
Pour peu que l’on s’oppose à ce que veut sa tête,
On en a pour huit jours d’effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton ;
Je ne sais où me mettre, et c’est un vrai dragon."
Sa Majesté la Reine du décorum ressemblait à Philaminte.
Extrait de la préface de Le coup de grâce (1939), roman de Marguerite Yourcenar. Ces remarques sont à mettre en relation avec les Confidences d'une femme trahie.
Ces confidences s’inspirent d’une occurrence authentique. Le récit est écrit à la première personne, et mis dans la bouche du personnage principal, procédé auquel j’ai recours parce qu’il élimine du livre le point de vue de l’auteur, ou du moins ses commentaires, et parce qu’il permet de montrer un être humain faisant face à sa vie, et s’efforçant plus ou moins honnêtement de l’expliquer, et d’abord de s’en souvenir. Rappelons pourtant qu’un tel récit fait par un personnage est quoi qu’on fasse une convention littéraire. Une fois admise, néanmoins, cette convention initiale, il dépend de l’auteur d’un récit de ce genre d’y mettre tout un être avec ses qualités et ses défauts exprimés par ses propres tics de langage, ses jugements justes ou faux, et les préjugés qu’il ne sait pas qu’il a, ses mensonges qui avouent ou ses aveux qui sont des mensonges, ses réticences, et même ses oublis. Mais une telle forme littéraire a le défaut de demander plus que tout autre la collaboration du lecteur ; elle oblige à redresser les événements et les êtres vus à travers le personnage qui dit je comme des objets vus à travers l’eau. Ce biais favorise l’individu qui est ainsi censé s’exprimer. C’est, comme on le pense bien, dans les rapports compliqués interpersonnels que se marque le plus cet écart entre l’image que le narrateur trace de soi-même et ce qu’il est, ou ce qu’il a été. C’est pour sa valeur de document humain (s’il en a) et non politique, que ce court roman a été écrit et c’est de cette façon qu’il doit être jugé. 
(Marguerite Yourcenar)
Il est bien vrai que ce biais favorise l’individu qui s’exprime. Le reste du livre permet de corriger cette impression.

aire de repos
La confession généreuse et libre énerve le reproche et désarme l’injure. (Essais, III, 9)

De toutes les rêveries du monde, la plus reçue et plus universelle est le soin de la réputation et de la gloire, que nous épousons jusques à quitter les richesses, le repos, la vie et la santé qui sont biens effectuels et substantiels, pour suivre cette vaine image et cette simple voix qui n’a ni corps ni prise.  (Essais, I, 41)

Enivrez-vous. Il est l’heure de s’enivrer. Enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.  ( Baudelaire, cité dans une lettre prémonitoire que j’ai envoyée à tout le personnel )
Comme en matière de bienfaits, de même en matière de méfaits, c’est parfois satisfaction que la seule confession. Est-il quelque laideur au faillir, qui nous dispense de nous en confesser ? (Montaigne)

Document : Mot de la directrice générale
Le 10 novembre 2003
Monsieur le Président,
Le rapport annuel d’activité 2002-2003 exprime d’emblée l’engagement généreux et professionnel de toute l’équipe des quelque deux cents personnes à l’emploi du collège.
Tous et toutes méritent d’être remerciés très vivement de faire de notre Collège un collège humain, soucieux de la réussite de ses étudiants, de ses étudiantes et un partenaire actif dans le développement de la région.
La nouvelle planification stratégique a rallié l’adhésion de tous et de toutes à poursuivre notre engagement dans l’accomplissement de la mission qui nous rassemble, la formation au niveau collégial de citoyens vertueux, responsables et compétents. Ces travaux auront aussi permis la consolidation de notre projet éducatif qu’on a senti bien vivant dans les préoccupations de nos gens. Le comité d’évaluation de la Commission d’Evaluation de l’Enseignement Collégial (CEEC) a clairement, lors de sa visite chez nous en novembre dernier pour l’audit, témoigné de la vigueur de notre projet éducatif et de l’engagement et la passion de nos gens dans sa réalisation.
Je remercie très sincèrement les membres du conseil d’administration de leur confiance et de leur dévouement à l’endroit du Collège.
Françoise Richer
(signature d’une écriture élégante)

note liminaire du Littéraire

Le temps est venu de donner la parole à l'Autre et de respecter un principe du droit popularisé par Bernard Landry : audi alteram partem, écoute l’autre partie. C'est ce que Landry a dit piteusement pour une très faible défense de Jacques Parizeau qui, en pleine campagne électorale, en réponse è une question plantée de l'auditoire, a bien été obligé de revenir sur l'argent et des votes ethniques
Les confidences de la directrice donnent l’occasion de revivre le conflit tel qu’il s’est déroulé  dans le temps à travers sa façon de voir les choses.
Comme s’il écrivait un roman à la première personne, l’auteur (Le Littéraire) s’est mis à la place de Sa Majesté qui, comme un personnage fictif, dit je et raconte toute l’histoire telle qu’elle l’a vécue en respectant la chronologie. Vous verrez qu’elle n’est pas du genre à douter d'elle-même. Quoiqu’on ne sait jamais, le caractère fictif de ce personnage peut nous réserver des surprises. C’est la directrice qui s’exprime : le je, c’est elle.  Je la vois comme un mélange du personnage de Philaminte des Femmes savantes, de Célimène du Misanthrope de Molière et de la marquise de Merteuil des Liaisons dangereuses mais quand même un peu moins cynique, dépravée et méchante que cette dernière. Mais la ressemblance à un modèle n'est pas une identification totale au modèle. Je le répète: c'est un personnage fictif, réaliste mais fictif. Non, ne dites pas que je me suis pris pour Balzac ou Flaubert. Mais je n'ai pu résister aux pressions de ma conjointe.
La bourgeoise qui racontera son expérience est un personnage fictif qui est sans doute différent de la personne réelle qui l’a inspiré et qui a servi de modèle.  On ne peut pas dire toutefois que certaines ressemblances sont le fruit du hasard mais l’auteur de cet ouvrage revendique une liberté  qui l’a autorisé à certaines inventions. (Le Littéraire)

Confidences d’une femme trahie 

entrée: portrait du Littéraire dit Boutefeu 
Je commencerai par un portrait de mon adversaire. Lucien Bouchard a déjà dit que Stéphane Dion était un boutefeu. C'est la première fois que j'ai entendu ce mot.  Bouter le feu, mettre le feu. Le mot boutefeu désigne un bâton garni à son extrémité d’une mèche pour mettre le feu à une pièce d’artillerie. Par un développement métonymique, on est passé à la personne qui met le feu et, par extension, à incendiaire. De nos jours, le mot ne s’emploie qu’avec son sens figuré de personne suscitant des querelles ou des conflits.  Boutefeu est le nom fictif que je donne au Littéraire.  Le surnom de Boutefeu lui convient bien car il était, de fait, une personne suscitant des querelles et des conflits.  Par son intransigeance, son complexe de supériorité, son agressivité, son approche belliqueuse, son utilisation de mots blessants, sa volonté de nous faire perdre toute crédibilité, ses sarcasmes, sa désinvolture arrogante, sa manie de tout politiser, il a été le principal responsable de la guerre de sept ans que j’ai dû subir. Tout ce qui est arrivé est de sa faute. C'est lui qui nous a poussé à utiliser l'arme nucléaire des poursuites judiciaires. Il était comme un poisson dans l'eau dans la chicane. C'est lui le responsable pas moi. Je n'ai fait que me défendre.
Pour lui, j’étais la libérale qui, avec la clique de Ste-Anne-de-Sorel, complotait contre lui et voulait l’abattre. C’est un rebelle et un provocateur depuis longtemps. Il déteste les libéraux. Il a détesté  Robert Bourassa et Pierre Elliott Trudeau. En plus, c’est un rancunier : une offense qui lui a été faite ne sera jamais oubliée. J’admets qu’il n’a pas été le seul de son camp et du nôtre à aimer la confrontation. Mais je l’ai dès le début considéré comme la bougie d’allumage des affrontements, celui qui met le feu aux poudres, parce que le syndicat se servait beaucoup d’écrits et qu’on reconnaissait partout son style satirique  amplifié par son confrère l’Irlandais qui sait aussi écrire, avec, en prime, des citations de Montaigne qui étaient souvent insultantes pour moi.  Il ironisait souvent dans ses cours et cela est inacceptable devant un public captif de jeunes sans défense facile à manipuler.  Il étudiait le roman de Madame de La Fayette et attirait l'attention sur la citation suivante:  L'humeur ambitieuse de la Reine lui faisait trouver une grande douceur à régner lisait-il dans La Princesse de Clèves. Il commentait en disant: Vous savez que nous avons une Majesté comme directrice générale ici même. Nous sommes là pour qu'elle ne trouve aucune douceur à régner. C'est un tyran tritri, la semaine prochaine j'apporterai mon Peterson sur les oiseaux et vous comprendrez.
Il est vrai que j’ai pris les devants, que j’ai essayé de l’intimider, de le déstabiliser, je l’ai considéré comme le leader à abattre et je l’ai traité comme tel sans lui donner de répit. J’ai d’abord attaqué le Syndicaliste, son ami. Je l’ai ensuite attaqué directement très tôt à partir d’une plainte. Toutefois, à chacun des coups que je lui donnais, il y a eu une réplique de sa part qui, la plupart du temps, a fait mal car il savait où viser. Mes attaques et ce qu’il appelait mes mesquineries contribuaient encore plus à le motiver plutôt qu’à le décourager. Il disait que chacune de mes actions contre lui était du harcèlement. Ces coups que je lui donnais lui servaient à démontrer ma malveillance et à justifier sa bataille contre moi auprès de ses confrères qui continuaient à l’appuyer puisqu’il était l’objet d’attaques répétées de la Direction. Ses collègues ne pouvaient le laisser seul contre moi qui le harcelais en se servant de tous les moyens à ma disposition ayant sous mes ordres, comme il aimait le répéter, des cadres serviles et des espions obséquieux. Certains de ces êtres troubles du département de philosophie et de français, soit dit en passant, étaient sensibles à mes charmes et je le savais : une femme sent ces choses-là. Certains enseignants jouaient double jeu : ils me flattaient pour obtenir des avantages mais, en même temps, ils donnaient de l’information à mon ennemi. Parfois, je me suis servie d’eux pour passer des messages. Tout  cela jetait de l'huile sur le feu. C'était des jean-foutre comme il disait en citant les tontons flingueurs. Nous étions dans l'ambiguité totale. Il n'y avait pas grand monde qui était totalement de mon bord sauf les cadres.
Après l’avoir observé et avoir écouté ce qu'on dit de lui,  le principal reproche que je lui adresse, c'est qu'il  politise ses cours et fait de la propagande politique indépendantiste et anti-libérale auprès de jeunes qui forment un auditoire captif. On dit aussi qu'il donne de meilleures notes à ceux qui ont ses idées politiques mais je n'en suis pas sûre. Il devrait donner plus de cours magistraux.  il critique l’administration chaque fois qu'il le peut.  Il accorde peu d’importance au français écrit, (il a dit à un étudiant en techniques administratives très faible en français écrit : quand tu auras réussi en affaires et que tu seras millionnaire, tu engageras une secrétaire forte en français et le tour sera joué). Cette désinvolture ne fait pas sérieux et fait mal paraître ses confrères plus exigeants.
Quand un train siffle, il va vers la fenêtre et se met à réciter par coeur, sans avertissement,  devant ses élèves abasourdis, le poème Le voyage de Baudelaire en laissant clairement entendre qu’il aimerait mieux être ailleurs. Voici ce poème. Imaginez-le en train de le réciter. 
Le Voyage
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

Ah partir pour partir !
Quand, à l’automne, en fin d'après-midi,  la noirceur tombait, après avoir dit assez prosaïquement pour fustiger le bilinguisme canadien, comme dans les aéroports :  Your'e attention please, Votre attention s'il vous plaît, il récitait d’une voix basse de confessionnal (il a été séminariste comme Aliocha dans les Frères Karamazov) le poème Recueillement de Charles Baudelaire, j’aurais aimé être là dans sa classe pour voir moi-même ce professeur assez spécial.
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Après avoir ainsi impressionné ses élèves avec le fouet du Plaisir et la fête servile, il ajoutait, cela m'a été raconté: 
Si je faisais de la prison, j’en profiterais pour puiser dans les trésors de ma mémoire. Je ne m’ennuierais pas une seconde. D’ailleurs, suite à la manifestation de la St-Jean du 24 juin 1968 que la police qualifiait d’émeute, j’ai passé vingt-quatre heures en prison, au quartier général de la police dans le Vieux-Montréal, dans la même cellule que Pierre Bourgault. J’ai payé une amende de cinquante dollars suivant ainsi les conseils de mon avocat Serge Ménard (aujourd’hui ex-député du Bloc québécois à Ottawa qui s'est vu offrir une enveloppe de 10,000 $ par le corrupteur libéral, maire de Laval et qu'il a refusée) pour avoir troublé la paix en face de la bibliothèque de Montréal au parc Lafontaine là où a eu lieu l’émeute, au moment même de l’émeute et je n’ai pas participé à l’émeute. Expliquez-moi ça. C’est un de ces miracles du droit. Dans les cellules du quartier général de la police dans le bas de la ville de Montréal, en début de soirée, Pierre Bourgault parlait des Patriotes de 1838. Puis quand on entendit des rumeurs qu’un policier était mort dans la manifestation et après avoir vu Reggie Chartrand qui avait la face comme s’il était passé dans un nid d’abeilles, Bourgault devint songeur et se tut.
Vous aurez deviné que la Circé tyrannique aux dangereux parfums, c'est moi. En retournant chez lui dans le Vieux-Longueuil, chaque soir, il évitait de voir les retombées de ses audaces verbales. Il échappait ainsi, selon lui, à un milieu fermé et lourd où régnait le dénigrement. Ce dénigrement existait au coeur même du département de français.  Son inconscience l’a parfois sauvé et ses amis aussi.  Je me suis informé sur lui: c'est facile car il parle volontiers de lui devant ses élèves. Ce n'est pas un hasard s'il a fait sa thèse de doctorat sur l'autobiographie.  Un p'tit gars du bas de la ville de Montréal qui nous nargue en citant Montaigne, muni d’une maîtrise en théologie de l’Université de Montréal et d’un doctorat en lettres de l’Université Laval,  avec des talents d’écrivain polémiste et un goût marqué pour les affrontements, Boutefeu a eu, dans ses belles années, m'a-t-on dit,  un handicap de six au golf, une moyenne de 400 au baseball de dix à seize ans et de 600 à la balle donnée au Grand Séminaire de Montréal et au camping de La Tuque.  Il prétendait que la Canada Cup était la meilleure balle pour le golf d’automne. Il disait : Frapper sur le Canada, quel plaisir! Il aurait sans doute aimé avoir une balle à mon nom. Dans ses diatribes politiques, il commençait en citant Réjean Ducharme (il avait fait sa thèse de maîtrise en lettres sur l’Avalée des avalés, roman publié chez Gallimard) : Parlons du Canada. Déployons de mornes efforts. C'était un indépendantiste militant.  Avec ténacité et acharnement. Il était très critique à l'endroit de ceux qu'il appelait les pourris fédéralistes qui sont des tricheurs pratiquant le terrorisme économique. Robert Bourassa était sa tête de Turc. Il le détestait. Dans ses livres, il le fustige. Il admire Jean-François Lisée qui a écrit deux essais magistraux contre Robert Bourassa: Le Tricheur et le Naufrageur.
Décorum
Boutefeu m'appelait la Reine du décorum. Le décorum est l’ensemble des règles qu’il faut observer pour tenir son rang dans la bonne société. C’est ce qui relève des convenances, de la bienséance, du cérémonial, du protocole, de l’étiquette, du savoir-vivre, des bonnes manières, de la civilité, de la courtoisie On m’a beaucoup reproché de tenir au décorum en tout temps. Par exemple, dans une assemblée municipale, à la période des questions, on voit souvent des Sorelois belliqueux s’énerver et s’emporter verbalement contre le maire et ses conseillers à cause d’une augmentation de taxes ou un projet qui implique des dépenses. Ils peuvent aller jusqu’à l’injure. C’est un manque de décorum. Le maire de Sorel en sait quelque chose. Il faut être capable d’exprimer un désaccord sans manquer de respect pour les autorités. C’est une question de savoir-vivre et de politesse.
Pendant les réunions du Conseil d’administration du collège, j'ai toujours exigé le respect du décorum. Cela a frustré le syndicat des enseignants qui nous a appelée la Reine du décorum pour laisser entendre que, pour nous, l’apparence avait plus d’importance que la substance et que nous voulions la soumission comme une reine au pouvoir absolu. Si, à cause de mon autorité, de ma prestance et de mon attitude majestueuse, mes adversaires m’ont qualifiée de reine, pourquoi n’en serais-je pas flattée malgré l’intention satirique évidente et la suggestion que j’étais une dominatrice, une despote. Boutefeu aimait spécialement le mot despote à cause du son du mot. Mes espions m’ont dit qu'il m’appelait une Louis XIV en jupon. Il avait du goût pour l’hyperbole. Il appelait mon bureau : le Carré royal qui est le nom d’un parc de Sorel. On m’excusera de ne pas trouver ça drôle. Bien sûr, une directrice générale a un certain pouvoir. Il m’appelait d’un nom d’oiseau, le tyran tri tri et me comparaît à Philaminte, le personnage despotique des Femmes savantes de Molière. Il me comparaît aussi à Célimène, du Misanthrope, la séductrice qui laisse croire à quatre hommes en même temps qu’elle pourrait être intéressée par leurs avances. A bien y penser, par sa franchise brutale et incivile et son intransigeance, Boutefeu avait un côté viril misanthrope et misogyne. Le Dr Mailloux aurait aimé cette virilité.  C’était me direz-vous, un affronteur. Je le crois. Ça tombe bien, je suis, moi aussi, une affronteuse. Féru de Montaigne, il aimait agrémenter les textes syndicaux de citations qui projetaient dans l’universel des situations locales que certains bon ententistes tentaient de minimiser. La culture, ça ne donne pas le droit d’insulter les gens en les affublant de noms comme  Tyran tri tri et ça ne donne pas d’immunité. Un de mes espions m'a rapporté que dans ces moments de colère, il m'a comparé à la cynique, pervertie et méchante marquise de Merteuil, l'héroïne des Liaisons dangereuses. Philaminte oui, à la rigueur, Célimène oui, certainement, mais la marquise de Merteuil, non: là, il charriait.


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