jeudi 4 janvier 2018

Gibelotte en compagnie de Montaigne (suite 1)

tout en douceur

Ce récit raconte ce qui s'est réellement passé au collège de Sorel-Tracy avec des personnes qui ont vraiment existé. Quand le récit des faits ne suffit pas à donner accès à la réalité, la fiction intervient.  D'où la nécessité de transformer une personne réelle, la directrice du collège, en personnage fictif qui fait des confidences.  Lire ce livre, c'est comme conduire une voiture hybride avec un moteur qui a comme carburants, de l'essence et de l'électricité et qu'un logiciel fait passer de l'une à l'autre source d'énergie tout en douceur.  Au lecteur de décider du régime de sa lecture, référentiel ou fictionnel.  Ces notions m'ont été utiles  pour écrire une thèse de doctorat à l'Université Laval sur l'espace autobiographique de la fiction que j'ai réussie malgré l'incompétence de mon directeur de thèse et grâce aux bons conseils  de Jean Marcel qui lut et commenta le brouillon de ma thèse. Il me conseilla de lire l'essai de Kate Hamburger, Logique du récit.  Ce livre fut décisif. Dans le brouillon de ma thèse, je citais Roger Peyrefitte qui, cherchant partout des homosexuels et des lesbiennes pour justifier son orientation sexuelle, mentionna Marguerite Yourcenar. Jean Marcel écrivit dans la marge: Cessez ces ragots de pissotières. Je réussis quand même à suggérer que, comme ses personnages Zénon de l'Oeuvre au Noir et Hadrien des Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar était probablement bisexuelle avec préférence homosexuelle.

Notons que les personnes impliquées dans l'action ne sont pas des individus isolés mais agissent au sein de personnes morales comme un syndicat d'enseignants ou la direction d'un collège.  Avec la présence lourde et coûteuse en argent et en temps du monde de la justice: code civil sur le devoir de loyauté d'un employé envers son employeur mais aussi des devoirs de l'employeur envers son employé, convention collective signée par les deux parties mais  appliquée différemment, poursuites en diffamation, avocats, juges, arbitre de griefs ou arbitre au Tribunal du travail. Ce recours belliqueux des deux côtés aux instances juridiques était la conséquence de la difficulté et la quasi impossibilité du dialogue amical. Le conflit a été dur et anxiogène.  Comme nous l'a appris le docteur Camille Laurin, on appelle idiosyncrasie, les caractéristiques particulières d'un individu ou d'un peuple. Chez les belligérants, il y avait des idiosyncrasies fortes et opposées. Réduire les oppositions à des conflits de personnalités serait toutefois une grave erreur à ne pas faire. Certes, il ne faut pas dramatiser mais il ne faut pas minimiser non plus. C'est du passé mais c'est une expérience riche en émotions que l'auteur voulait revivre en la décrivant. Au terme du processus, il peut dire que ça en valait la peine.  


introduction     

A Jean Marcel, professeur à l'Université Laval de Québec 
autoportrait

Bons souvenirs soyez les bienvenus: vous êtes ma jeunesse lointaine. Au parc Lafontaine, le baseball et les immenses peupliers odoriférants de l'automne. Mes grands-mères rue Wolfe et rue Brébeuf. Le parc Robin. Le train est en marche de Montréal à Pointe-Calumet. On est en 1948. C'est l'été.  J'ai  dix ans. Je me  colle le nez contre la vitre du train en marche et je regarde. J'entends le ronron régulier et rassurant du train.  Heureux de voyager, je vois le paysage, les champs de blé d'Inde, les vaches, les chevaux, les percherons costauds et leurs fesses rondes, les maisons de campagne, les légumes dans les jardins, les granges spacieuses, les tas de fumier, le clocher des églises, les arbres comme dans les peintures de Marc-Aurèle Fortin, les fleurs comme chez Renoir et Van Gogh, la pluie qui commence à tomber, le lac des Deux Montagnes. J'aime la pluie qui tombe. Tout m'intéresse, pour moi rien n'est banal. Ma curiosité est immense. Je veux tout voir. Tout ce qui existe me captive et contribue à ma joie de vivre.  J'apprécie sans réserve le cadeau de la vie.  

Comme Bernanos dont j'ai beaucoup aimé le Journal d'un curé de campagne, je  n'ai pas oublié ce petit garçon  que j'ai été  dans le train vers Pointe-Calumet. Ou dans l'autobus vers le parc Belmont avec ma mère et les savoureux sandwichs au Paris-pâté accompagnés d'une bouteille d'orange Crush. La prison de Bordeaux, à Rivière-des-Prairies, m'impressionnait beaucoup avec son dôme qui me rappelait celui de l'Oratoire St-Joseph.  Les barreaux des fenêtres du vaste édifice me rendaient triste.  Moi, je jouais librement.  Je courais vite, très vite. Dans les festivals, je gagnais des courses de vitesse et les prix, un bâton de baseball, un gant, une balle, une médaille. Mon père, grand amateur de baseball, me félicitait. Ma mère aussi était contente toujours fière de son fils Robert. Un peu trop et mon frère Gaston devait en prendre ombrage. Je ne le compris que beaucoup plus tard.  Je mangeais bien, mes grands-mères m'aimaient; les quatre premières années chez ma grand-mère  italienne puis les quatre suivantes chez ma grand-mère canadienne comme on disait à l'époque. Ma mère  m'amenait tous les samedis de l'été au parc Belmont et, plus tard, au chalet de Pointe-Calumet. J'aimais l'école. J'étais un enfant heureux. Un vrai p'tit gars batailleur, sportif et studieux. Sur la rue Brébeuf, au hockey bottine, j'étais Maurice Richard, je comptais des buts et, Gilles Parent, mon meilleur ami, était Elmer Lach, il me faisait de belles passes. C'était le bonheur total entre les immenses bancs de neige. Au baseball, mon modèle était l'arrêt-court des Royaux de Montréal, Bobby Morgan.  C'est pourquoi on m'appelait Bobby puisque moi-même, je jouais à l'arrêt-court.  Mon père avait des billets de saison de baseball et il m'amenait régulièrement voir jouer les Royaux de Montréal au stade De Lorimier, coin Ontario, les dimanches après-midi avec des programmes doubles. Le lanceur gaucher Tom Lasorda. Les noirs Dan Bankhead et Sam Jethroe. Le géant premier but Chuck Connors frappeur gaucher qui envoyait la balle sur l'édifice Knit-to-fit où travaillait ma mère: elle cousait des boutons sur les vêtements d'enfants. Le deuxième but Rocky Bridges et le petit gaucher Al Gionfriddo qui patrouillait le chant gauche. Bobby Morgan était l'étoile des arrêts-courts de la ligue et fut le  meilleur joueur de l'année 1949. Le champ droit, George Schmees, puissant frappeur gaucher qui frappait des coups de circuit sur la Knit-to-fit! Le troisième but, Don Oak.  Quand les arbitres arrivaient sur le terrain, mon père criait à tue-tête : Two blind eyes!: ça me gênait ce rejet public des arbitres, cette semence d'anarchisme.  

Quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. C'est  ce proverbe chinois  que le Littéraire  mettra au tableau dans sa classe aujourd'hui. Hier, c'était une citation de Montaigne: plus le singe monte haut dans l'arbre, plus il montre son cul  en présentant des excuses aux jeunes filles en fleurs pour la vulgarité du mot. Les Soreloises firent la moue: nous prend-il pour des pudibondes!  Quant aux filles de cultivateurs, c'était  carrément l'indignation. Il pourrait utiliser le mot cul sans que des élèves portent plainte mais on ne sait jamais, il y a les parents, les mères surtout, qui font des téléphones à une direction qui présente une oreille très réceptive et ça elles le sentent. Ah oui, il a dit ça! On ne s'habitue pas à vivre  parmi les rocs occultes et parmi l'hostilité:  on prend une respiration profonde et on tient bon en maugréant. Et on se dit, tant pis, il faut que je gagne ma vie. Des femmes liées au Parti libéral avaient des postes de cadres dans son collège.  Et lui, il était dans le camp adverse. Cela avait des conséquences: un mauvais climat, de la méfiance, du stress, de la délation des lécheur de culs, des coups de cochon, avec des périodes plus ou moins longues de répit. Beaucoup d'hypocrisie. Dans le département de français, ça manigançait. Le maniganceux n'allait pas à la cheville du Littéraire en littérature, telle était l'opinion du Grammairien, professeur de cinéma qui avait écrit une grammaire, c'était un minutieux. Il lui dit: Tu ne te rends pas compte, lui, le sournois, il a étudié un an en lettres tandis que toi tu as un doctorat. Les élèves comparent.  C'est pour ça qu'ils ne veulent pas que tu donnes de cours dans le programme d'Arts et lettres dont ils sont les gourous. Tu pourrais les faire mal paraître. Ce jour-là, le Littéraire remercia le Grammairien: il comprit pourquoi son ennemi était envieux et hypocrite.

En se réveillant, le Littéraire pense tout de suite à la visite qu'il fera à la secrétaire de la Directrice générale, ronde, affable et sympathique  pour déposer un ajout de quatre points à l'ordre du jour du prochain conseil d'administration du collège. Il énerve la directrice qui a toujours peur de perdre le contrôle mais il veut obtenir des informations sur le budget et sur l'international qui n'apporte pas de  revenus et qui occasionne des dépenses somptuaires en voyages en Afrique du Nord et en Côte d'ivoire avec escale à Paris...

Vers six heures trente du matin, (à l'aube comme disent les poètes) surtout vers la fin de sa carrière, ça le forçait de se lever. Ses nuits étaient coupées par deux visites aux toilettes donc il rêvait rarement car il lui fallait six heures de sommeil d'affilée pour que le rêve survienne. Si vous voulez tout savoir, c'est à cause de l'hypertrophie bénigne de la prostate (HBP): son urologue de médecin, laconique, lui avait dit: elle est grosse. Il avait perdu  la majesté du jet.  Sa femme restait couchée et l'invitait à mettre une chemise propre. Il savait qu'il la retrouverait le soir toujours fidèle à ses côtés. Il y a un plaisir à partir à cause de la certitude du retour. Il obéissait et mettait dans sa poche de chemise du côté coeur un peigne,  des fiches, plans de cours, numéros de téléphones et trois stylos, deux à l'encre bleue et un à l'encre rouge pour l'évaluation, fondement suprême du pouvoir de l'enseignant. Comme d'habitude, il était à la dernière minute, mais il arrivait toujours à l'heure en classe pour le cours de 8 heures.  L'adjoint au directeur des études surnommé Grand pied  avait fait exprès pour lui donner des cours à 8 heures du matin, lui qui habitait à Longueuil à 68km du collège situé à Tracy. Vous n'avez qu'à déménager disait le subtil  Adjoint qui faisait les horaires, fondement de son pouvoir. Il  avait reçu pour mandat de la directrice  d'alourdir sa tâche en lui donnant un horaire sur cinq jours, et un horaire écartelé: un cours à huit heures du matin et un autre cours à 3 heures de l'après-midi. Il n'avait rien à faire entre dix heures trente et trois heures; il était loin de son lit où il aurait pu faire une sieste avant le cours de l'après-midi. Il ne pouvait quand même pas aller au Chenal-du-Moine tous les jours. Il avait voulu faire un échange de cours avec une collègue (Nathalie Piette) qui, elle aussi, avait un horaire sur cinq jours et qui demeurait à Longueuil elle aussi. Mais la demande fut refusée par le Directeur des études, complice de la Directrice. La direction ne respectait pas un article de la convention collective sur la conciliation travail-famille.   Quand  l'adjoint cadre Grand Pied fut opéré au coeur (il souffrait d'arythmie), de retour de l'hôpital, il lui demanda si les médecins n'en avaient pas profité pour l'opérer au cerveau. Il avait oublié les leçons de Dale Carnegie dans son livre que l'abbé  Jules Desrosiers lui avait passé à seize ans: Comment se faire des amis pour réussir dans la vie


Dans la cuisine, il prenait le verre avec des petites vaches dessus, il versait du jus de pamplemousse rose froid ou du jus d'orange Tropicana,  puis il se faisait des rôties pain français qu'il mettait dans une assiette avec du fromage fort Riviera et une grappe de raisins rouges qu'il déposait sur le siège du passager de l'auto à sa droite et il partait en Renault 30 (puis en Honda Civic, puis en Honda Accord): rue Ste-Elizabeth dans le Vieux-Longueuil, rue St-Thomas restaurant l'Incrédule à cause de saint Thomas, rue St-Charles vers l'est, vers Pratt et Whitney Canada, moteurs d'avion où travaille Luc Charbonneau, gardien de la tradition des patinoires extérieures, vers la 132, circulation dense avant le pont tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine et l'autoroute 20 Jean-Lesage, puis tout roule vers Boucherville, à Varennes virage à droite vers la 30, autoroute peu achalandée, Verchères, Contrecoeur, Tracy: 42 minutes d'auto à 120 km à l'heure,  68 km,  parfois musique de Bach ou de Jimi Hendrix, Hey Joe,  et au retour, à la radio, l'émission du docteur Pierre Mailloux, psychiatre, pour entendre des propos parfois instructifs et quand ça piétine ou que le docteur s'impatiente et devient désagréable et arrogant ce qui lui arrive régulièrement, surtout quand une mère se plaint de son fils qui prend de la drogue, les drogués sont tous des menteurs, tu fermes la radio. 

Pendant trente-six ans, à trois ou quatre jours par semaine (avant l'horaire pourri sur cinq jours, forme de harcèlement), pendant 34 semaines par année (deux sessions de 15 semaines plus une semaine d'examens, plus une semaine de réunions diverses), faites le calcul, ça en fait des kilomètres. Mais à chaque jour suffit sa peine. Dire qu'à dix minutes de chez lui se trouve le collège Edouard-Montpetit où ses quatre enfants, deux garçons, deux filles, ont étudié. Les écoeurants disait sa vieille tante Françoise (décédée à 92 ans) comme si un complot avait été tramé contre lui. Elle avait de longues mains qui rappelaient une sculpture de Rodin.

Le long de l'autoroute 30, l'explosion des couleurs de l'automne, les vents en diagonale de l'hiver, les cabanes à sucre et les amélanchiers en fleurs du printemps (et du docteur  Jacques Ferron), les geais bleus en couple surgissant de la forêt, un raton laveur  ou une mouffette écrasée ici et là, ça sent la Heineken, le confort du moteur V6 Renault-Peugeot-Volvo puis de la technologie japonaise. Arrivé en classe à huit heures deux, au tableau, il écrit: Quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt (proverbe chinois). Après avoir donné un travail à ses élèves, répondez en équipe de deux à dix questions sur un des quatre chapitres de la Princesse de Clèves, il descendait à la cafétéria quelques minutes prendre le café du matin en lisant le Journal de Montréal surtout les nouvelles du sport, abondantes. (Déception quand le Canadien perd.) 

Tout était sous contrôle, c'était la belle vie avec trois mois de vacances pour jouer au golf et faire du camping familial tous ses cours étant préparés avec les notes à photocopier et à passer. Après trente ans, sa réputation était faite. Personne n'aurait osé essayer de l'écoeurer. On craignait ses remarques satiriques. Par exemple, pour ne pas qu'elle prenne froid,   il avait offert son débardeur en laine à une jeune fille qui était entrée en classe le nombril à l'air et la craque des fesses visible; un étudiant aux cheveux bleus se fit demander: Est-ce que c'est l'Halloween? A un autre, un Libanais, son père vendait des fruits et légumes,  qui le taquinait à propos de sa dernière coupe de cheveux de sa coiffeuse préférée (sa femme), il demanda: quand vas-tu me poser une question sur le Misanthrope?  Tout roulait.  Avec un minimum de cours magistraux donnés surtout en fin de processus après un effort des élèves pour lire et comprendre. Les élèves les plus brillants l'aimaient et l'appréciaient.  Ce qui ne veut pas dire qu'il négligeait les plus faibles mais il ne les accablait pas comme un certain collègue qui les méprisait à cause de leur intérêt pour le sport (prononcé à l'anglaise) la mécanique et  les chars. Qu'il repose en paix dans sa Beauce natale lui qui trouvait banal, pauvre lui,  le Rivage des Syrtes de Julien Gracq et qui aimait donner des cours privés de français écrit en faisant du cuisse à cuisse avec de belles grandes filles, presque des femmes, maquillées et parfumées. Comme les bureaux étaient à aire ouverte, on était les témoins de cette comédie mais ce n'était pas du harcèlement puisque les filles étaient consentantes. Ah! le pouvoir du crayon rouge.

Pendant ce temps, dans les bureaux de l'administration, plus ou moins utile,  un monde parallèle à l'enseignement s'affairait. Dans une atmosphère d'obséquiosité,  les secrétaires préparaient les ordres du jour de réunions diverses et la paperasse, procès-verbal, documentation, propositions à être adoptées. Les cadres essayant de justifier leur existence se mettaient en frais d'encadrer les enseignants à coups de plans cadres. Ces anciens professeurs devenus cadres étaient jaloux de la liberté des enseignants. Leur marotte, c'était le contrôle. Avec des réunions qui les occupaient, commission pédagogique, harmonisation des plans d'étude, journées pédagogiques qui nous faisaient perdre notre temps.  Ces réunions étaient peu utiles la preuve en fut faite un jour qu'une cadre, l'autre adjointe au directeur des études, tomba malade et fut absente pendant deux mois. On plaisantait en disant: est-ce que son absence a changé quoi que ce soit aux activités normales d'enseignement dans les classes? Pendant ces deux mois, le Littéraire remarqua qu'on ne voyait plus personne passer dans le corridor pour l'espionner.  

Dans un collège du Québec situé dans la région du Bas-Richelieu sur la Rive-Sud du fleuve St-Laurent,  il peut s'en passer des choses.  Surtout si ce collège public est dirigé comme si c'était une entreprise privée par une femme ambitieuse qui aspire au pouvoir absolu et qui prend des moyens douteux pour étouffer toute contestation. La directrice générale exigeait qu'on soit toujours d'accord avec ses projets. Or ses projets avaient souvent des conséquences sur  les conditions de travail des enseignants car les ressources qu'elle accaparait augmentaient la tâche des enseignants. Un syndicaliste digne de ce nom ne pouvait évidemment pas la laisser sévir. Devant cette espèce de Louis Quatorze en jupon, il pensait à Nicolas Fouquet dépouillé de son château de Vaux-le-Viconte qu'il a visité lors d'un voyage en France. Des enseignants compétents, diplômés et syndiqués ne peuvent se soumettre à une petite-bourgeoise de Ste-Anne-de-Sorel qui se croit supérieure aux autres parce qu'elle et ses amis ont de l'argent.  Cette arrogance de l'argent: il fallait que tout soit rentable pour donner l'image d'une bonne gestionnaire. C'était écrit dans le ciel qu'il y aurait des affrontements avec cette femme d'affaires qui a tenté d'administrer un collège comme une business.  

De ces affrontements, il est question dans ce livre autobiographique qui traite des huit dernières années de ma vie d’enseignant, de 1997 à 2005 dans un collège qui aurait pu s'appeler Germaine-Guèvremont, ce que je souligne pour rappeler le refus de certains Sorelois de changer le nom du collège. C'est là que j'ai enseigné la littérature française et québécoise pendant trente-six ans, de 1969 à 2005; j'ai  exercé souvent la fonction de coordonnateur du département de français et fait partie de l'exécutif du syndicat des enseignants, ce qui m'enlevait quelques cours à donner, on appelle ça du dégrèvement.  Au lieu de terminer ma carrière d'enseignant tranquillement, en paix, j'ai eu à combattre une directrice générale  qui  a poursuivi le syndicat en diffamation pour des sommes de 80,000 dollars et de 170,000 dollars. Ces folies judiciaires ont  coûté en frais d'avocat 50,000 dollars au collège et 25,000 dollars au syndicat. Sans oublier les pertes de temps et d'énergie.  C'était payé cher pour satisfaire les tendances autocratiques d'une directrice.  

Nous, c'est le syndicat donc tous les enseignants et moi, je suis le Littéraire. C'est mon surnom.      Cette femme mûre d'assez belle apparence, impérieuse, m'as-tu vu, surnommée Sa Majesté ou la Reine du décorum est la co-vedette de ce livre. On l'a même appelée Ubu Reine. La directrice générale n'a reculé devant aucun moyen, deux poursuites en Cour supérieure et plusieurs actions de harcèlement qui seront décrites, pour  nous dominer et nous contrôler.  Selon le principe machiavélique de la fin justifie les moyens.  Elle nous a placés dans une situation de tension continuelle pendant sept ans. Nous en avons fait autant pour elle qui n'a pu jouir un seul instant de son pouvoir, pouvoir tout relatif puisqu'il s'agit d'un petit collège de région mais pouvoir quand même.  L'avenir de l'humanité n'était certes pas menacé par ses stratagèmes, mot devenu à la mode suite au rapport Duchesneau sur  la corruption dans l'industrie de la construction. L'industrie de la corruption, selon le lapsus célèbre commis par Jean Charest, premier ministre du Québec de 2003 à décembre 2012. Et qui a été la principale cause du mauvais climat politique régnant sur le Québec pendant dix ans; il était encore premier ministre au moment où ces lignes ont été écrites, le 4 juin 2012, en pleine crise causée par le refus des étudiants universitaires de l'augmentation de droits de scolarité de 82%, crise qui a été aggravée par une loi spéciale (le  projet de loi 78 devenu loi 12) déposée le 17 mai 2012 à l'Assemblée nationale.  

Le règne de Sa Majesté fut un échec. Ubu Reine a subi la défaite. Nous raconterons les principales péripéties de cette guerre que nous avons gagnée.   

Chaque action de harcèlement de La Reine du décorum fut suivie de contre-attaques qui l'ont neutralisée. Le syndicat des enseignants a répliqué aux deux Slapps (strategic lawsuit against popular participation),  deux poursuites-bâillons (de 80,000$ et 170,000$) par des griefs, une plainte au Tribunal du travail et des menaces de poursuites en diffamation contre la directrice générale qui fit l'erreur de nous traiter par écrit de menteurs. Il peut être intéressant de vérifier si c'est bien vrai que nous avons gagné. Le lecteur, la lectrice (je ne vous oublie jamais mesdames...) sera juge: cela mettra un peu de suspense dans sa lecture. Car la directrice contesterait ce jugement. Comment une notable, une personne de sa qualité, si dévouée et si bien intentionnée pourrait-elle perdre une lutte contre des mécréants dans notre genre !    

Nous décrirons le conflit dans une optique plutôt ludique car c'est stimulant de se battre malgré les inquiétudes et le stress que des actions sournoises ont provoqués. Et c'est plaisant d'écrire même s'il est irritant de se rappeler des coups bas, des mensonges et des hypocrisies des adversaires, cadres ou enseignants. La distance du temps permet de voir très clairement ces mesquineries, ce qui provoque nécessairement de la colère. Des coups de pied au cul se sont perdus.  On parle en particulier du manque de franchise et de loyauté de collègues ( le mot collègue est un épicène, c'est-à-dire qu'il implique le féminin et le masculin: ici, il faut lui enlever toute connotation fraternelle).  

Des écrivains et surtout Montaigne, l'auteur des Essais, nous ont accompagné dans cette lutte pour la liberté d’expression et la dignité contre l’autocratie et la bourgeoisie dans une petite ville située au Québec à 70 km à l'est du Vieux-Longueuil, sur la Rive-Sud de Montréal, dans la région du Bas-Richelieu où il y a encore des chasseurs et des cultivateurs comme ceux qui sont décrits dans les romans de Germaine Guèvremont qui sont des chefs-d'oeuvre de la littérature universelle et dont les personnages sont de beaux exemplaires d'humanité, en particulier le Père Didace, le Survenant et Angélina, mais aussi d'autres femmes, l'Acayenne et Phonsine qui s'entredéchirent dans Marie-Didace, un roman qui se termine par la mort suspecte de l'Etrangère d'une crise cardiaque à qui Phonsine a servi du ragoût de boulettes interdit par le médecin et qu'elle ne devait pas manger. Cette étrangère, l'Acayenne, Phonsine l'appelait avec dédain la morue.

A l'adresse des non Québécois  qui liraient ce livre, pour comprendre l'âpreté de ces luttes qui ont duré huit ans, il faut savoir qu'il y a ici au Québec une question nationale non réglée. Les oppositions  des belligérants sur la situation du Québec datent des années 70, année de la crise d'Octobre où un ministre libéral est mort suite à un enlèvement. Et en 1995, les indépendantistes disent que le deuxième référendum sur la souveraineté-partenariat fut volé comme l'a montré  Robin Philpot dans son essai: Le référendum volé. Cet arrière-fond politique a envenimé de façon souterraine un conflit qui s'est déroulé dans un collège qui aurait pu s'appeler collège Germaine-Guèvremont, nom qui  a été rejeté par certains Sorelois qui ont refusé l'honneur d'être associés au plus grand écrivain de l'école du terroir: ils n'ont pas compris l'honneur et le privilège qu'il y avait à être associé au nom de Germaine Guèvremont. Ils pensent comme Grosgras Provençal ou Amable Beauchemin: le Grand-dieu-des routes est pour eux une ramassure des routes, une plume au vent, un coureux de chemin, un fend-le-vent, un beau marle.  
Pendant huit ans, ce fut la guerre.  Montaigne écrit dans ses Essais dans le livre 1, au chapitre 47: 
Il fait dangereux assaillir un homme à qui vous avez ôté tout moyen d'échapper que par les armes; car c'est une violence maîtresse d'école que la nécessité.
Cela décrit bien la situation où nous avons été placé par la Reine du décorum et par la clique de Ste-Anne-de-Sorel pendant huit ans. En effet, il n'y avait pas d'autre possibilité que la guerre. Nous n'avons pas eu le choix. Ou bien on s'écrasait et on était humilié et je prenais ma retraite, ou bien on prenait les armes, on se défendait et on attaquait pour se faire respecter. Car comme l'écrit Montaigne, c'est  une violence maîtresse d'école que la nécessité. Et, en effet,  il fait dangereux assaillir un homme à qui vous avez ôté tout moyen d'échapper que par les armes.   


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